01-11-2015 12:57
Propos recueillis par : Samira Belaâmeri / version française: Moussa. K
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L’ancien chef du ministère de l'Armement et des Liaisons générales (MALG), Daho Ould Kablia, revient dans cet entretien qu’il nous a accordé sur le retrait de la scène politique du père fondateur des services secrets algériens, Abdelhafid Boussouf, sur les tentatives de Boumediène de le destituer de ses prérogatives au sein du MALG et les rattacher à l’état-major, son refus d’abdiquer à Boumediène et les plans confectionnés par le dernier pour isoler le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA).
Ould Kablia révèle les mobiles de l’assassinat de Abane Remdane, l’alliance du premier président de l’Algérie indépendante, Ahmed Ben Bella avec Rabah Bitat et Boumediène et son échec à son convaincre Boudiaf en lui proposant de présider le « bureau politique», l’influence de l’armée des frontières placée sous le commandement de Boumediène à peser sur son poids en faveur de Ben Bella après le départ de Ben Youcef Ben Khedda du GPRA et les tentatives de Boumediène après le redressement révolutionnaire à acheter le silence des leaders de la révolution, dont Bentobal et Khider auxquels il a proposé des postes de responsabilité.
Par ailleurs, il a fait remarquer comment Djamel Abdenasser a confisqué 15.000 armes appartenant au MALG à l’Alexandrie en représailles au « putsch » de Boumediène contre Ben Bella et démenti les déclarations de Fethi Dib qui a modifié, à ses yeux, les chiffres et les réalités au sujet du soutien de l’Égypte à la révolution algérienne.
En outre, il évoque la façon dont Chadli s’est débarrassé de Kasdi Merbah qui avait fait de lui un président de la République.
Sans doute, la création du MALG a constitué un sursaut qualitatif pour la guerre de Libération, bien qu’il y ait des insuffisances. Aujourd’hui et après de plus d’un demi-siècle de sa création, pensez-vous avoir pris de fausses décisions et de positions vis-à-vis de vos compagnons?
L’institution du MALG au sein du GPRA le 19 septembre 1958 n’est pas venue du rien. En effet, les prérogatives confiées au président du MALG, Abdelhafid Boussouf étaient similaires aux fonctions qu’il avait exercées au sein du Comité de coordination et d’exécution (CCE) en août 1957, soit l’armement, la liaison, les services secrets: renseignement et contre-espionnage. Tous ces services étaient au service de tous les ministères, dont les responsables de l’armée de libération nationale tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays étaient satisfaits de la prestation du MALG. Ce dernier a été du grand apport pour la révolution. En dehors de ces services, Boussouf était un responsable politique au même titre que ses compatriotes au sein du Conseil national de la révolution algérienne (CNR) et le Comité de coordination et d’exécution (CCE).
A ce titre, quelques dépassements et divergences politiques et idéologiques ont surgi entre le MALG et certains confrères et militants du CCE, notamment ce qui s’est passé avec Abane Remdane qui a sa propre vision sur la gestion de la révolution.
Vous voulez dire que la vision de Abane n’était pas en harmonie avec celle du groupe?
Effectivement, Abane Remdane a sa propre conception de la conduite de la révolution. Sa conception s’opposait diamétralement à celle des chefs militaires de la révolution.
Abane avait-il des partisans au sein du CCE?
Absolument pas! Sur ce sujet, je confirme que la vision de Abane était isolée et qu’il n’avait as de partisans. En outre, il méprisait délibérément ses compagnons du djihad. Je le dis que cet homme avait de l’orgueil au point que ses contacts avec eux avaient suscité l’intervention de Ferhat Abbas à plusieurs reprises.
La Révolution et la MALG n’avaient-il pas d’autres options que de l’assassiner?
A plus d’une occasion, le chef du GPRA, Ferhat Abbas était intervenu pour résoudre les différents entre Abane et ses compagnons en leur affirmant que la Révolution a besoin d’un consensus. Toutefois, Abane ne croyait pas ni au consensus ni en convergence des visions. Pire encore, il refuse de débattre avec ses compagnons et les traite de tous les noms. D’ailleurs, Ferhat Abbas a écrit dans ses mémoires que Abane traitait ses compagnons de « bourricots».
Ce point de discorde entre Abane et les chefs militaires de la Révolution s’est transformé au fil du temps en une question de vie ou de mort! En fait, si vous voulez une réponse à votre question sur la liquidation de Abane, je dois vous dire que tous les écrits et les opinions ont un point commun, c’est que la révolution n’avait d’autre choix que de supprimer Abane.
Quant aux erreurs constatées par le MALG après l’assassinat de Abane, je vous confirme que l’expérience acquise par l’institution ne lui permettait pas de commettre des erreurs. D’ailleurs, ses résultats probants en témoignent, d’autant plus qu’il a réussi à approvisionner tout le monde en armement, comme il a pu étendre ses contacts à l’étranger.
Peut-on considérer le MALG comme un trait d’union entre le front politique et le front militaire de la révolution?
Évidemment ! Là, je dois confirmer encore que la structure de l’appareil était une chose et Boussouf en était autre chose. Il était un homme politique qui savait pertinemment jouer ses rôles politiques au sein du gouvernement. Boussouf était audible. D’ailleurs, lors de toutes les réunions du GPRA, c’était lui qui prenait la parole le premier juste après l’allocution prononcée par Ferhat Abbas et plus tard par Ben Youcef Ben Khedda. En effet, de par sa position au sein du MALG, toutes les données essentielles étaient en sa possession et il était à maintes fois sollicités à éclairer les membres du gouvernement aux plans politique, militaire et diplomatique.
Comment trouviez-vous la dissolution du MALG au lendemain de l’Indépendance et après un conflit entre politiques et militaires (GPRA/état-major)?
Il n’y avait pas eu une décision claire en faveur de la dissolution du MALG après la guerre de Libération. En vérité, après la crise du congrès de Tripoli en juin 1962, soit un mois avant l’indépendance, et les différends entre le GPRA et l’état-major-Ben Bella, dont ces derniers avaient envie de geler le GPRA et créer un bureau politique et lui confier les prérogatives du gouvernement provisoire. Ce que les membres du GPRA n’ont pas admis en décidant de se retirer des travaux du congrès et de rentrer en Tunisie.
Après avoir convoqué une réunion dont le quorum n’a pas été atteint, le GPRA a décidé de jeter l’éponge, dont sa décision n’engageait plus personne. De leur côté, les chefs d’état-major étaient rentrés à Alger, tout comme Ben Khedda qui lui a créé son équipe gouvernementale et rejoint le palais du gouvernement.
En revanche, ceux qui s’étaient réunis à Tlemcen ont mobilisé bon nombre d’unités de l’armée et des militaires et se sont dirigés vers Alger. Ayant eu vent de la nouvelle, Ben Youcef Ben Khedda a décidé de se retirer de la direction du GPRA en vue d’éviter l’effusion de sang des Algériens, dont les pleurs n’ont toujours pas tari. Boussouf est, quant à lui, resté en Tunisie. En juin 1962, il s’est adressé aux membres du MALG auxquels il a rendu hommage pour leur abnégation et leurs sacrifices et les a conseillés de rester au service de la révolution et de l’édification de l’Algérie.
N’était-il pas, selon vous, une instruction pour dissoudre le MALG?
Probablement! Parce que Boussouf s’est retiré de toute activité et aurait envoyé délibérément l’instruction en vue d’éviter tout conflit aux membres du MALG.
Ne pensez-vous pas que l’isolement et le retrait de Boussouf de la scène politique étaient une perte pour l’Algérie indépendante?
Boussouf n’a pas été isolé mais il a choisi de sa propre volonté de se retirer au lendemain du congrès de Tripoli où plusieurs responsables avaient montré leurs ambitions. D’ailleurs, des signes d’alliances ont apparu. Pour lui, ce n’était point un bon indice pour l’Algérie indépendante, non moins celui souhaité par le GPRA qui a donné une conception pour l’Algérie indépendante.
Qui étaient ces personnalités qui aspiraient à des postes de responsabilité?
Il y avait Ben Bella et son groupe, Khider et Bentobal, en plus de Boumediène qui a préféré y rester au second plan. Ce dernier aurait vraisemblablement des calculs et une stratégie à mettre en exécution. En effet, l’état-major n’était pas seul à se montrer hostile vis-à-vis au GPRA, mais il y a aussi des personnalités révolutionnaires. En voulant renforcer son positionnement, Boumediène a procédé à la création du bureau politique et a choisi Boudiaf comme responsable. Boumediène avait eu une conviction que si Boudiaf acceptait ce poste, lui il serait sans doute président, mais Boudiaf a refusé son offre.
Pourquoi, d’après vous, Boudiaf a refusé de présider le bureau politique?
Boudiaf n’avait absolument aucune confiance ni en Boumediène ni en état-major. D’ailleurs, il le dit publiquement. De plus, la première réunion du bureau a dévoilé leurs orientations et leur éloignement du contenu des accords d’Evian. En effet, ils ont opté pour le parti unique et c’était un choix antidémocratique, tout comme la révolution agraire qui n’est pas incluse dans lesdits accords. Les Français avaient quant à eux introduit des clauses pour préserver leurs intérêts.
Boussouf n’a pas été réhabilité?
A vrai dire, Boussouf n’a pas sollicité de postes. D’ailleurs, Boumediène lui a proposé d’occuper le poste de président du conseil d’administration de Sonelgaz mais il a décliné l’offre. Car il savait très bien que Boumediène voulait satisfaire les leaders révolutionnaires et renforcer son entourage par des éminentes personnalités qui s’étaient opposées à lui pendant et après l’indépendance. En effet, Boumediène a nommé respectivement Ben Tobal et Khider à la tête du conseil d’administration de la SNVI et le conseil d’